Gestion des risques : nos émotions impactent-elles nos prises de décisions ?
Alors que nous traversons une succession de crises et d'événements qui génèrent déséquilibres, incertitudes, menaces en tout genre, les arbitrages deviennent décisifs et la question de la gestion et de la maîtrise des risques s’envisage à présent dans un contexte de plus en plus anxiogène.
Découvrez dans cet article, comment les émotions peuvent influencer nos prises de décisions et pourquoi il faut les réguler.
L'influence des émotions sur notre comportement en matière de gestion des risques
Dans un tel contexte et face à de tels enjeux, il n’est pas étonnant que la question de l’influence des émotions sur la prise de décisions intéresse de plus en plus les acteurs qui se trouvent et continueront de se trouver au cœur de ces arbitrages. L’atelier qui s’est tenu le 15 décembre 2022, intitulé "L'influence émotionnelle dans la prise de décisions", dans le cadre des Entretiens Territoriaux de Strasbourg atteste de cet intérêt. Il témoigne également de la volonté des décideurs de s’informer et de se former sur ces sujets pour y voir plus clair, développer leur culture du risque et mettre en œuvre des bonnes pratiques pour eux-mêmes et les équipes avec lesquelles ils évoluent.
Les émotions indispensables à la prise de décisions intuitives
Les travaux du psychologue Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, ont rendu célèbre l’approche des "biais cognitifs", faisant du jugement et de la prise de décisions des thématiques à la "mode", largement reprises dans les conférences et les dispositifs de formation à destination des décideurs. La question de l’influence des émotions sur la prise de décisions s’inscrit dans la continuité de cette tendance et constitue un sujet de plus en plus mis sur le devant de la scène, à juste titre selon nous. En effet, c’est principalement grâce aux travaux menés dans le domaine des neurosciences depuis une quarantaine d’années que nous savons que les émotions sont omniprésentes, qu’il n’est pas possible de les faire taire et que même si nous en avions la possibilité, ce serait contre-productif pour la prise de décisions. Pendant des siècles, les passions, c’est à dire les émotions ont été considérées, comme des perturbatrices de la raison, notamment par d’illustres philosophes tels que Platon. Aujourd'hui, les connaissances issues de la psychologie scientifique au sens large (neurosciences, sciences cognitives, etc.) nous disent en réalité tout l’inverse !
Émotions et prise de décisions, les travaux du célèbre neurologue Antonio Damasio
Il aura fallu tout de même attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que les travaux des chercheurs, à l’image du célèbre neurologue Antonio Damasio, redonnent aux émotions leurs "lettres de noblesse". En substance, ces travaux montrent que les émotions ne sont pas seulement utiles pour prendre de bonnes décisions ou faire passer un message, elles sont tout simplement indispensables ! Pourquoi ? Parce qu’elles agissent comme de précieux indicateurs qui nous renseignent sur la pertinence des options qui se présentent à nous lorsque nous devons prendre une décision. Sans ces indices, l’expérience montre que les décisions sont catastrophiques !
Développer ses compétences émotionnelles pour une gestion de crise efficiente
Exercice de gestion de crise à Noirmoutier en novembre 2022
Si le rôle des émotions pour la prise des décisions n’est plus matière à débat, il n’en reste pas moins que les émotions peuvent aussi biaiser notre jugement, surtout lorsque nous faisons face à des risques majeurs. Il faut cette fois se pencher sur les travaux de Jennifer Lerner, professeure à Harvard, pour comprendre comment les émotions "incidentes", c’est-à-dire issues du contexte dans lequel la prise de décision s’opère, par exemple l’anxiété, la colère, etc., peuvent altérer notre perception de l'ensemble des risques et, par extension, venir biaiser nos décisions. C’est dans ce cadre qu’il devient pertinent en tant qu’individu et en tant que collectif, d’être capable de réguler les émotions pour limiter leur impact sur le processus de prise de décisions.
À cet égard, nous considérons pertinents tous les dispositifs de formation et d’information, à l’image de l’atelier des ETS, qui auront pour vocation de fournir des connaissances aux acteurs de la gestion des risques sur la nature des émotions, sur la manière dont elles interagissent avec les processus de traitement de l’information, c’est à dire la cognition. Dans la même lignée, les dispositifs qui permettront, à ces mêmes acteurs de développer leurs compétences émotionnelles, agiront en prévention des effets potentiellement délétères de l’émotion sur la prise de décisions. Par compétences émotionnelles nous entendons la capacité à identifier, exprimer, comprendre, utiliser et réguler ses propres émotions et celles d’autrui.
Comment les émotions collectives influencent-elles notre comportement ?
Bien évidemment, la question des émotions ne doit pas être réduite à l’échelle individuelle car le collectif joue un rôle important dans la dynamique émotionnelle des individus qui le composent. À ce sujet, nous sommes également convaincus que les dispositifs pédagogiques qui permettront la mise en place de bonnes pratiques sur le plan "psycho-social", en entrainant les individus à mieux interagir, rendront les collectifs plus résilients et plus à même de faire face aux enjeux à venir en matière de gestion des risques.
Adrien Tedesco, Docteur en sciences cognitives à l'Université de Poitiers (86) ;
Olivier Chambert-Loir, Médiateur, fondateur et dirigeant de la société Sensei.
Rédaction : Adrien Tedesco, docteur en sciences cognitives à l’Université de Poitiers et Olivier Chambert-Loir, médiateur, fondateur et dirigeant de la société Sensei.